L’homme que vous voyez sur la photo n’a rien d’impressionnant. Il n’a rien d’un riche, mais n’est pas pauvre non plus. Dans la soixantaine, aux cheveux blancs neige ravagés par la calvitie. Durant la majeure partie de son existence, Marcel Amphoux a mené une vie modeste de nomade au cœur d’un village tout aussi modeste intitulé Puy-Saint-Pierre.
Questionnés plusieurs fois à son sujet, les villageois ne savaient presque rien de Marcel, tellement ce dernier s’était enfermé dans sa propre bulle. Figurez-vous que son logement se résumait à une cabane qui avait connu des temps meilleurs. Sans eau ni électricité, il était impensable que quelqu’un puisse exister ainsi, et pourtant…
Pourtant Marcel était très heureux, et ne manquait de rien. Grâce à son style de vie minimaliste, le nomade a pu amasser une fortune colossale, avec laquelle il s’est procuré une multitude de terres au cœur des Alpes. La majeure partie du village touristique Puy-Saint-Pierre lui appartenant, il aurait pu amasser une fortune rien qu’en se séparant d’une bagatelle de ses terrains.
Néanmoins, la réponse de Marcel Amphoux à ce sujet restait la même : un « non » catégorique ». Qui aurait pu se douter que croiser le chemin d’une jeune touriste suffirait pour tout changer ? Pas Marcel, et encore moins son entourage toujours confus jusqu’à ce jour.
Si vous aviez vu, à l’époque, la manière dont Marcel se conduisait au quotidien, vous n’auriez jamais cru que son patrimoine se comptait par millions. Cette fortune n’était cependant pas la sienne uniquement, mais plutôt familiale. De ce fait, plusieurs autres membres de la famille Amphoux avaient un mot à dire dans la façon dont étaient gérées les terres. Ainsi, l’ermite en chef décidait des chalets à construire, et de qui pouvait y loger – gratuitement. Généreux, Marcel s’offusquait à l’idée de toucher le moindre loyer.
Le jour où tout a basculé
Elle s’est introduite à lui en tant que Sandrine Devillard. A l’époque, c’était une jeune femme fraichement sortie de la première jeunesse et abordant à peine la vingtaine. Néanmoins, son nom faisait déjà écho dans tout Paris étant donné son métier de courtière. Ainsi, Sandrine s’est introduite à Marcel, a franchi la porte de la cabane avant de lui lâcher la bombe : Elle venait acheter ses terres. Confiante, son sourire charmeur a vite fondu face à la réponse éternellement négative de Marcel. Or n’étant pas une femme à se laisser faire, Devillard a vite changé de stratagème.
Sandrine a alors invité Marcel à aller dîner en sa compagnie, usant de son charme ravageur pour le convaincre. Toute autre personne aurait aussitôt vu clair dans son jeu. Malheureusement, le vieux nomade n’y a vu que du feu. De fil en aiguille, la croqueuse de diamants est parvenue à acquérir la perle précieuse qu’elle cherchait. Deux années ne se sont même pas écoulé que le couple s’est déjà dit « oui ». Dans le visage de Marcel figuraient les sentiments de béatitude et d’amour. Personne n’a eu le cœur à lui faire voir la vérité en face.
C’est en 2011 et au village de Puy-Saint-Pierre, qui compte à peine 500 occupants, que la cérémonie de noces s’est déroulée. A la fête de mariage, les chuchotements sont allés de bon train. Mais qui pouvait les juger, quand l’image que rendait le couple attisait les rumeurs. L’apparence de Sandrine avait tout d’une princesse, la jeune femme ayant porté une robe rose gracieuse, des talons hauts à peine sortis de la boite, et des bijoux au prix flagrant. Dans ses mains fraichement manucurées, la mariée a tenu un bouquet de roses orange et carmin élégant.
Le vieil ermite, quant à lui, n’avait rien d’un homme qui s’apprêtait à se marier. On aurait même cru qu’il s’en moquait. A l’exception d’une douche (au caractère douteux), son apparence criait la négligence. Portant un costume non repassé et qui datait du siècle dernier, il avait eu l’idée ingénieuse de marier sa cravate avec celle de sa nouvelle épouse. Dans le visage de cette dernière, l’émotion de la honte était palpable. Cependant, sa voix n’a pas craqué lorsqu’elle a prononcé ses vœux de mariée.
Alors que le maire de Puy-Saint-Pierre a pris la peine de bénir l’union des deux « tourtereaux », plusieurs invités n’ont pas eu cette décence. De ce fait, un bon nombre de chaises est resté vide, et ceux qui avaient accepté de venir n’ont pas mâché leurs mots. Au cours de la cérémonie, les railleries ont fusé de tous les sens. Un certain Jacques a même déclaré ces mots au Daily Express : « Ce mariage était une simple mascarade, et tout le monde (sauf Marcel apparemment) le savait. Cette jeune femme (Sandrine) n’avait qu’un but en tête, et ce n’était pas pour les beaux yeux de notre bon vieux nomade qu’elle l’a épousé. »
Si elle était blessée par les remarques de ses nouveaux voisins, Sandrine Devillard n’a rien laissé paraître. Elle a donc gardé le sourire jusqu’au bout de la fête, même si celui-ci s’est crispé par moments. Malheureusement pour elle, l’écho des rumeurs a pris de l’ampleur après les noces. Pour cause, Sandrine a regagné sa vie au cœur de la capitale, tandis que le vieux Marcel a mené la sienne comme d’habitude dans les terres des Alpes. Cela n’avait rien d’habituel, et l’odeur qui émanait de la situation empestait jour après jour.
Pour justifier cette étrange accommodation, Sandrine a répété ces mots aux journalistes du Dauphiné :
« Marcel est un homme de la vieille époque, voire de la préhistoire, » se défend Sandrine. «Je suis une parisienne de pure souche. Je ne peux donc pas vivre hors Paris. Puisque Marcel a refusé de faire le déplacement (et je le comprends), je fais la navette autant que possible entre Paris et Puy-Saint-Pierre. A chaque fois que je passe le voir, Marcel est heureux. Cet arrangement nous va à tous les deux, je ne sais donc pas ce qui dérange les autres à ce point dans notre mariage. » Vous ne voyez donc vraiment pas, Sandrine ?
Un an après le mariage, les rumeurs atteignent le sommet. Il est cependant trop tard pour agir. Le 28 novembre 2012, tout bascule pour les habitants de Puy-Saint-Pierre.
Comme vous vous en doutez d’après le cliché, un violent accident de voiture a eu lieu. Bien que cela ne soit pas étonnant en soi, ce sont les circonstances de cet événement qui ont semé le doute. En sortant avec Sandrine et deux de ses connaissances, Marcel a succombé aux blessures dues au choc. Les trois jeunes, quant à eux, ont survécu avec des lésions minimes. La potentielle implication de Sandrine a été évoquée par la police, sans aucune preuve pour alimenter ces dires.
Lorsque Marcel a été enterré, Sandrine a pleuré de tout son saoul. Cependant, les habitants du village et famille Amphoux ont vu clair dans son jeu. Une fois que le corps fut caché par la terre, les larmes de la jeune veuve ont subitement tari. Déclarant qu’elle était la seule héritière de la fortune laissée par l’ermite, elle a ordonné aux villageois de quitter son territoire. Nouvellement milliardaire, elle estimait que quiconque refuserait de quitter son domaine serait poursuivi par elle en justice. Pour justifier ses décisions subites et cruelles, elle s’est cachée derrière des prétendus travaux de rénovation qui ne pouvaient pas attendre.
Cependant, le testament laissé par Marcel Amphoux a décidé autrement. Il semblerait que quelques jours avant son violent accident, le nomade a altéré son testament. Sandrine, qui comptait déjà mentalement sa fortune, s’est retrouvée sans le sou. En réalité, les héritiers de Marcel étaient sa propre famille, son cercle d’amis proches et les villageois de Puy-Saint-Pierre.
Tout compte fait, les paroles de l’entourage du défunt n’ont pas été prononcées en vain. En ce qui concerne les chalets qu’il avait bâti, Marcel a laissé leur exploitation dans les mains de ses amis intimes.
Une fois que l’effet de la nouvelle ait diminué, Sandrine a couru aux portes de la justice. Selon elle, le testament de dernière minute n’était qu’une fausse et vaine tentative de falsification. Devant un juge, la jeune parisienne a accusé l’ensemble de la famille Amphoux de vouloir la délaisser de ses biens qui lui revenaient de droit.
Malheureusement pour elle, le juge a eu une idée différente de la situation. En 2016, la décision juridique finale est déclarée : Aucune falsification n’a eu lieu, et Sandrine n’avait aucun droit de prétendre le contraire.
Misérable et sans le sou, Sandrine Amphoux a mis un temps fou à accepter sa situation. Elle qui croyait que son charme avait convaincu l’ermite a fait face à une impuissance sans pareille. Que pouvait-elle faire, maintenant que la vieille peau était morte ? Ses nombreuses tentatives d’appel au verdict sont tombées à l’eau l’une après l’autre, et les avocats qu’elle recruté ont tous baissé les bras.
Vaincue, Sandrine a rebroussé son chemin, évitant les radars médiatiques qui s’amusaient à la poursuivre partout où elle allait. Malheureusement pour elle, l’affaire « Marcel et Sandrine Amphoux » divertissait toute la France. Le 21 novembre 2017, plusieurs articles ont été publiés suite au dernier appel de la veuve déshéritée.
Les décisions de la justice restaient les mêmes : Sandrine n’a d’une Amphoux que le nom. Malgré la manière ingénieuse dont elle a séduite Marcel, celui-ci a rédigé des legs à la dernière minute. Ainsi, les biens ont été distribués aux héritiers, et la porte de la justice s’est fermée devant la veuve ruinée.
Depuis l'annonce du verdict, il semblerait que la jeune parisienne ait disparu des radars. Après la publication du dernier appel, plusieurs journalistes ont tenté en vain de la contacter. Quant aux villageois de Puy-Saint-Pierre, on peut clairement dire que tout est bien qui finit bien pour eux. Leurs terres natales ainsi préservées, aucun d'eux ne risque d'être mis à la porte de sitôt.
Personnellement, cette histoire nous inspire plusieurs morales. D’abord, un mariage sans amour est un mariage voué à l’échec. Combien même on croit et espère tromper l’autre, cela n’est généralement pas aussi simple que cela. A force de jouer au plus malin, on ne prend plus la peine de ce que peuvent penser les autres… jusqu’à ce que les autres soient, au final, plus malins que nous.